Interview du Dalaï Lama : ma leçon d’humilité
Comment l'interview du Dalaï Lama au début des années 2000 a fait évoluer ma pratique journalistique


Monastère de Lerab Ling, plateau du Larzac. Le Dalaï Lama entre dans la pièce et l’air se met à vibrer. Dis de cette manière, la scène paraît imaginaire et fantasmée. Et pourtant.
Je ne suis pas bouddhiste. Je ne suis pas mystique. A l’automne 2000, je suis un jeune journaliste que rien n’effraie. J’allais rencontrer le chef en exil du Tibet, prix Nobel de la Paix comme je rencontrais les chauffeurs de poids lourds en grève bloquant la raffinerie de Frontignan. Ou José Bové qui venait de démonter le McDo de Millau. Un reportage comme un autre.
Nous étions une quinzaine de journalistes à l’attendre dans cette pièce. Je sentais chez mes collègues ce mélange d’excitation et de stress qui précède une rencontre avec une personne mondialement connue.
Moi, j’affichais l’air détaché de celui qui en a vu d’autres. Mais je n’avais rien vu du tout. Prisonnier de l’image que je voulais renvoyer à mes confrères, couvrant ma jeunesse professionnelle d’un voile de suffisance, je me vautrais simplement dans la prétention totale des gens inexpérimentés. Je n’étais pas du tout prêt à rencontrer cet homme extraordinaire -au sens littéral : qui sort de l’ordinaire.
Et puis il est entré, entouré de ses gardes du corps. Il a traversé la salle et l’air vibré autour de lui. Vraiment. Pourquoi les molécules d’azote, d’oxygène, de dioxyde de carbone et les autres se mettaient à vibrer ? Je n’en sais rien. Mais, je vous jure, je voyais l’air vibré, devenir lourd, dense à son passage.
Il s’est installé derrière une table, a inondé la salle de son merveilleux sourire et a commencé à parler. Mathieu Ricard traduisait et moi, je restais pétrifié. J’écoutais, incapable de prendre des notes. Un journaliste ami me dépanna avec les siennes, se marrant de mon histoire.
La leçon me fut profitable. Et depuis, chaque fois que je sens que je mobilise mon énergie pour asseoir une prétendue image, je me rappelle cette conférence de presse. Et me répète cette lapalissade comme un mantra : l’intérêt d’une rencontre, c’est la personne que tu rencontres, pas l’image que tu renvoies aux autres.
Vincent Dusseau
Écrivain biographe, journaliste, des années d'expériences au service de la préservation de la mémoire.